LA SANTÉ EN MILIEU URBAIN

BASE

AOÛT 2019

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Dans les enjeux primordiaux de l’aménagement d’une ville, on retrouve la garantie de pouvoir offrir une qualité de vie bénéfique à tous les utilisateurs, qu’ils soient habitants ou non. Les espaces publics sont des vecteurs de liens sociaux quotidiens, il est primordial de les aménager de manière à conserver la santé et le bien-vivre de tous.

Le rôle de la ville

Il faut tout d’abord concevoir la « ville » sous ses deux représentations. Tout d’abord sous une forme urbaine, un espace de vie qui joue un rôle prépondérant dans les déterminants de la santé. Puis comme une autorité locale qui peut mener une politique de santé, en favorisant des formes urbaines favorables à la santé, des actions locales en faveur de la prévention, une politique d’équipements sportifs ou de valorisation des modes actifs de déplacement.

L’influence du territoire de vie

Pour identifier le lien entre santé et urbanisme, il faut prendre en considération la globalité des facteurs qui jouent un rôle sur la santé. D’une part, le style de vie et les capacités humaines (type d’alimentation, rythme de vie…). Mais aussi l’exposition à un large panel de déterminants de santé. Ces derniers peuvent être facteurs de risques (pollution de l’air, nuisances sonores…) ou encore facteurs de protection (interaction sociale, proximité à des espaces verts…). Ce sont ces différentes expositions des individus qui peuvent causer des inégalités de santé. La santé dépend donc des choix individuels mais également de politiques publiques adaptées.

Un lien santé / urbain présent très tôt

Historiquement, en remontant jusqu’à Hippocrate et Hippodamos dans l’Athènes antique, nous constatons que la santé, le bien‑être et la qualité de vie de tous les habitants des villes étaient déjà au cœur des préoccupations. La ville s’est donc saisie très tôt de l’organisation de la trame urbaine, la gestion des eaux ou l’accès à des offres de soins. Cette pensée de la trame urbaine est identifiable dès les premières créations urbaines. Par exemple, les rues d’Alexandrie sont agencées et orientées par rapport à la mer pour une meilleur circulation de l’air.

À Paris en 1607, un premier édit cadre l’alignement des rues pour limiter les saillies et améliorer la salubrité. Les enceintes démolies sont remplacées par des arbres sous Louis XIV pour introduire l’air et la lumière. Les travaux d’Haussman permettent une organisation en réseau de grands axes, alignés, sans saillies, rectilignes qui favorisent la circulation de l’air dans les anciens quartiers. Fin XIXème, des grands travaux d’assainissement débutent suite à l’obligation du tout à l’égout en 1894. La loi Cornudet de 1919 va mettre en évidence cette organisation systémique dans le cadre des plans d’embellissement indispensables à la salubrité des villes. Aujourd’hui les propositions d’agencement de la trame urbaine se concentrent sur la hauteur des édifices pour réduire l’effet canyon, pour éviter les concentrations de polluants.

Les autorités municipales procèdent également progressivement à une mise à distance des espaces d’inhumation, activités artisanales qui génèrent de la naissance (produits toxiques) ou encore des hôpitaux (patients contagieux). Des conseils d’hygiène publique et de salubrité, composés d’académiciens et de médecins, sont créés au XIXème siècle. À partir de 1879, certaines villes innovent avec les bureaux d’hygiène qui participent à une véritable politique locale de favorisation de la santé. Pendant la deuxième moitié du XXème siècle, la mise en place de centre municipaux de santé va structurer une offre de soins dans plusieurs communes.

En route pour un urbanisme favorable à la santé (UFS)

Introduit à la fin des années 1980 par le réseau des villes santé de l’OMS Europe, les grands axes du concept UFS ont été rapportés dans le guide de l’OMS : « Pour un urbanisme centré sur les habitants ». Il est question d’impliquer les pratiques d’aménagement qui tendent à promouvoir la santé et le bien-être des populations tout en respectant les trois piliers du développement durable. Ce travail a permis de poser un cadre de travail et ainsi de déployer ce concept à travers le monde.

Au début des années 2010, les acteurs de la santé prennent conscience du potentiel des politiques d’aménagement urbaines en termes de promotion de la santé. Ils réinvestissent le sujet de l’urbanisme et de la santé. Divers travaux de recherches aboutissent en 2014 à un guide : « Agir pour un urbanisme favorable à la santé« , complété en 2016 par un volet dédié aux plans locaux d’urbanisme. C’est un document de référence qui identifie des pistes d’actions concrètes. Depuis 2017 de nouveaux travaux (projet d’Intégration de la Santé dans les Opérations d’Aménagement – ISADORA) ont été engagés en collaboration avec ces acteurs pour faire évoluer les pratiques.

Comment l’urbanisme influe sur la santé ?

Un processus d’évolution

En premier lieu, l’urbanisme est un soutien vital fondamental. Il consiste en la reconnaissance du rôle essentiel des installations primaires : la fourniture d’un toit, l’accès à l’alimentation et à l’eau potable, l’air frais et la gestion efficace des eaux usées.

Ensuite, l’urbanisme prône la qualité de vie environnementale. Il est question de reconnaître les conséquences significatives de nombreux aspects de la planification et de la conception des environnements sur la santé et le bien‑être. S’ils n’influent peut‑être pas directement sur la longévité, ils affectent néanmoins le bien‑être physique et mental et, en conséquence, sur le plan économique et sur la productivité. Inclure le facteur santé dans les actions d’aménagement apporte une nouvelle dimension et une perspective plus fine, qui permet de mieux préciser les critères d’un urbanisme favorable à la santé.

Pour finir, la dernière phase est celle d’une intégration complète de la santé dans le processus d’aménagement. La santé n’est plus traitée comme un élément supplémentaire, faisant l’objet d’un chapitre séparé dans le document de planification stratégique, mais plutôt comme un élément central. Planifier pour la santé et le bien‑être devient un objectif fondamental des plans à l’échelon local, municipal et régional. Cette planification s’ajoute ainsi à d’autres critères essentiels, par exemple le développement durable, la justice sociale et le développement économique.

Pollution, facteur clé pour la santé

Fléau majeur dans la santé publique

La pollution serait responsable de 48000 décès par an en France et la troisième cause de mortalité en France (tabac et alcool). Les résultats du Projet Aphekom (Improving Knowledge and Communication for decision Making on Air Pollution and Health in Europe) en 2011 confirment cette donnée. L’étude a été menée sur le taux moyen de particules fines (PM2.5) émis au sein de 25 villes européennes. Les résultats des grandes villes françaises restent moins élevés que ceux des villes de l’est mais plus haut que les villes du Royaume Uni ou des pays nordiques. Si la qualité de l’air s’améliorait selon le barème guide de l’OMS, cela déboucherait sur plus de cinq mois de gain d’espérance de vie à 30 ans dans six villes étudiées (Paris, Marseille, Lille, Strasbourg, Bordeaux, Lyon). 17 770 décès pourraient être évités dont près de 70% dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Le coût économique de la pollution de l’air s’élève alors à 68 milliards d’euros selon le rapport du Sénat de 2015.

Espaces Verts

Si l’air est source de pollution, se tenir à l’écart du bruit ambiant et du tumulte urbain tout en restant en ville, est un facteur important. Cela passe par la présence affirmée d’une nature et d’une végétation revigorante au cœur des espaces publics. Elle protége les habitants des risques sanitaires liés à l’activité urbaine (bruit, pollution…), elle leur permet d’être éloignés du stress et de l’air insalubre. Pratiquer les espaces verts aide à ménager sa santé mentale et physique. Selon une étude IFOP pour l’Union nationale des entreprises du paysage (UNEP) et selon un rapport de l’UKNEA (United Kingdom National Ecosystem Assessment), la végétalisation urbaine serait par conséquent la source d’importantes économies en matière de santé publique : jusqu’à 3,4 milliards par an sur le territoire national ! Quand le feuillage des arbres et l’action de la chlorophylle naturelle combattent les effets néfastes de la pollution atmosphérique, il réduit aussi les îlots de chaleur urbains et donc les risques de contracter une maladie liée à la pollution.

Transports collectifs

La publication de 2003 : « L’évaluation des risques de la pollution urbaine sur la santé en Île-de-France : liens avec les mortalités 1987-1998 », fait état d’un lien très fort au sein des villes françaises entre la pollution due au trafic routier (particules fines et dioxyde d’azote) et une hausse d’environ 4% de la mortalité pour cause respiratoire. Dès lors, les transports font office de vecteurs de santé au sein d’une ville. L’un des enjeux majeurs s’avère être la diminution de l’utilisation de la voiture au profit d’autres modes de mobilité. Le but étant d’en limiter les nuisances en termes de qualité de l’air et de bruit. Une des solutions est la promotion des transports collectifs publics, moins polluants et encourageant la pratique de la marche pour se rendre à la station ou à l’arrêt du transport. On se dirige alors vers un mode plus actif qui ne génère pas de pollution de l’air et permet la pratique de l’activité physique. En effet, les utilisateurs des transports publics pratiquent en moyenne 8 à 30 min d’activité physique en plus que les automobilistes (trajet entre les stations, escaliers…).

Transports actifs, à double enjeu

L’éloge de la marche

La marche en ville a longtemps été l’ennemie de l’efficacité et de la vitesse en ville. Cette rapidité, symbole de la modernité urbaine, a propulsé au premier plan les véhicules motorisés. Pourtant la marche possède plusieurs atouts significatifs pour la santé. L’étude « Neighbourhood walkability and incidence of hypertension » menée par des chercheurs des universités d’Hong Kong et d’Oxford dans 22 villes anglaises, aboutit à une corrélation entre le niveau d’hypertension et la pratique de la marche dans la ville. Marcher maintient donc en bonne santé. Durant trente ans, les villes ont favorisé un usage routier des centres urbains, afin de permettre à tout le monde, même les plus éloignés, de profiter de l’attractivité de la ville. On pouvait alors, par exemple, apercevoir des routes sans trottoir.

Pourtant, marcher en ville est une pratique ancestrale qui met en jeu la sensorialité du piéton et sa construction perceptive de la ville. La marche prétend aujourd’hui à retrouver sa place et son importance dans les milieux urbains du XXIème siècle. En effet, depuis plusieurs années, les villes reconsidèrent la marche comme moyen d’améliorer la qualité de leurs espaces. Plusieurs projets ont été enclenchés, Paris et ses berges, New York et la High Line… La marche représente un enjeu de la durabilité ou du renouvellement urbain parce que, même dans sa fonctionnalité la plus ordinaire, elle permet au piéton d’être urbain et de faire la ville. C’est un « opérateur possible de nouvelles formes de renouvellement urbain » (Amphoux, Marcher en ville, 2004).

Aujourd’hui la marche et ses bienfaits sont promus et valorisés par divers moyens. Dans le quartier de Shibuya à Tokyo, une signalisation présente sur des marches d’escaliers indiquent les calories perdues à chaque ascension. En France une indication du temps de trajet à pied d’un itinéraire entre deux quartiers ou deux stations de tramway peut être visible à Marseille ou à Bordeaux afin de favoriser le déplacement par la marche.

Changer la ville pour changer les pratiques

Architecte et urbaniste danois, Jan Gehl, décrit l’impact du changement des structures urbaines sur les pratiques des citadins dans sa publication : Pour des villes à échelle humaine. En réduisant les routes, en développant les pistes cyclables, en aménageant plus d’espaces pour les piétons, les gens changeront leurs pratiques. Une étude, publiée dans la revue médicale, The Lancet a cherché à savoir quel impact le cadre urbain a sur le temps de marche moyen, et quels seraient les impacts de ces changements de pratiques sur la santé. Pour cela, 14 villes mondiales ont été testées et comparées par des chercheurs. Il en ressort qu’un aménagement bien conçu et réfléchi incite les gens à être plus actifs et à réduire le taux d’obésité, de diabète et de maladies cardiaques. Il s’avère que l’activité physique est liée à la concentration d’éléments urbains tels que la population, les parcs, les transports en commun, les carrefours. Donc, plus une ville sera pensée comme piétonne, plus ses habitants vont marcher. Il est indiqué dans le rapport de l’étude que : « La convergence des résultats dans chacune des villes suggère un engagement dans la conception urbaine, dans le transport et dans les parcs dans le but de réduire le fardeau en termes de santé que l’inactivité globale implique à l’échelle mondiale. »

La pratique du vélo

Juste après la pollution, la sédentarité est le quatrième facteur de risque de mortalité. L’OMS recommande, à partir de fondements scientifiques, au moins 60 minutes quotidiennes d’activité physique pour les enfants, et un minimum de 30 minutes pour les adultes (ou 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modérée au cours de la semaine) pour se maintenir en bonne santé (réduire les maladies respiratoires, cardio-vasculaires, l’obésité et certains cancers). Ce niveau recommandé est respecté par seulement un quart des Français. Les déplacements actifs constituent pourtant la solution optimale pour atteindre cet objectif. C’est ce qu’essaye de démontrer l’outil « HEAT », développé par un groupe d’experts internationaux du RFVS (Réseau français des Villes-Santé). Lancé en expérimentation dans trois Villes-Santé (Grenoble, Nancy et Nantes), il permet d’évaluer la baisse de la mortalité découlant d’une pratique régulière (quasi quotidienne) du vélo ou de la marche.

Un néologisme résume l’appropriation progressive d’une ville par les cyclistes : la copenhaguisation, qui se décline en verbe. Ce terme fait référence à Copenhague, modèle de ville heureuse et saine depuis son choix de rejoindre l’initiative de l’OMS en 1987. La capitale a converti ses habitants à se déplacer à vélo. C’est un véritable réseau cyclable qui a été pensé, avec des carrefours aménagés et des itinéraires renforcés. L’aménagement est constamment ajusté en fonction des habitudes prises par les usagers. Les pistes cyclables ont par exemple été élargies pour permettre à trois personnes de rouler de front. Avec 50% de trajets urbains réalisés à bicyclette, chaque kilomètre parcouru procurerait un euro en termes de bénéfices sanitaires selon les évaluations de la municipalité. Cela réduirait également de moitié le risque de maladie cardio-vasculaire. Au-delà du vélo c’est un ensemble d’activités physique qui est promu. Le sport se pratique dans la ville, à l’image des emblématiques piscines naturelles installées sur les toits.

La promotion du sport dans la ville

La conquête de la rue par le sport

De ce fait, l’aménagement des espaces et complexes sportifs urbains représente aussi un réel enjeu de santé publique pour lutter contre la sédentarité. Le sport se place comme le loisir favori pour un Français sur quatre, et cette tendance prévoit une hausse des pratiques sportives de 10% chez les habitants de l’Hexagone d’ici le coup d’envoi des JO 2024 à Paris. En parallèle, on assiste à une urbanisation des sports extérieurs avec l’escalade par exemple, qui peuvent désormais se pratiquer en ville. La voie publique se transforme alors en espace de pratique sportive, c’est une opportunité à ne pas négliger dans l’aménagement de nos futures villes pour promouvoir et favoriser l’activité physique et ainsi lutter, à l’aide d’un biais supplémentaire, contre la sédentarité.

Conclusion

Favoriser le sport, faciliter et rendre agréable les espaces de promenades ou encore rendre les espaces praticables en deux roues sont différents facteurs à considérer dans les projets d’aménagement de parcs, de places, d’aires de jeux… la politique des espaces publics est alors cruciale. Réfléchir à une logique d’échelle et de proximité lors de projets urbains afin de favoriser l’accessibilité des commerces, des services et équipements urbains permet de réduire la pollution de l’air mais également de donner les meilleures conditions aux citoyens de se déplacer activement à pied ou à vélo par exemple. Déjà hier, mais encore plus aujourd’hui, il est impossible de penser l’espace urbain sans réfléchir au lien direct entre la ville et la santé, et à ses possibles conséquences.