LA VILLE SPORTIVE

BASE

AOÛT 2019

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Avec les années 1970, le sport est sorti des lieux dans lesquels la performance physique était confinée. C’est un changement d’objectifs de la part des acteurs qui recherchent le plaisir plus que la performance. Cet aspect de plaisir nous dirige vers des pratiques sportives plus ludiques et conviviales et cela touche un public plus large. Ces nouvelles pratiques ont eu pour effets induits une « sportivisation » de la société et une diversification des lieux de pratique avec, en particulier, des espaces que le sport s’est approprié (rues, places, parkings, etc.). Aujourd’hui, l’enjeu pour les villes est de redynamiser leur politique sportive afin de continuer à se développer et de permettre à ses habitants de s’épanouir.

Pour le mot sport nous retiendrons la définition de la Charte Européenne du sport (1992) : « toutes formes d’activité physique qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétitions de tous niveaux ».

Il faut également concevoir la « ville » sous ses deux représentations. Tout d’abord sous une forme urbaine, un espace de vie qui joue un rôle prépondérant dans l’activité et le quotidien des citoyens. Puis comme une autorité locale qui peut mener une politique sportive, en favorisant des formes urbaines favorables à l’activité physique, des actions locales en faveur de la promotion, une politique d’équipements sportifs ou de valorisation des modes actifs de déplacement.

Enjeu de santé

De longues journées au bureau et un mode de vie sédentaire représentent de grands défis pour la santé des citadins modernes. Cette sédentarité est devenue au fil du temps une cause croissante de décès. À ce titre, les espaces publics constituent à l’heure actuelle l’un des principaux atouts dont disposent les villes pour répondre à ces enjeux de santé publique. En effet, accessibles jour et nuit, gratuitement, ils ont une incidence directe sur la vie quotidienne de tous leurs citoyens.

Inclusion sociale

C’est dans cette dynamique que naît le lien entre sport, santé et espace public. Car une activité physique régulière par le sport, le jeu ou la mobilité peut améliorer l’état de santé et également contribuer à renforcer l’inclusion sociale et le bien-être. Elle agit et prévient sur plusieurs dangers tels que la diminution de 60% du risque de survenue d’un AVC, de 35% du risque du cancer du sein ou encore de 10% du taux de cholestérol… Au-delà de l’activité physique en elle-même, son impact s’étend sur l’état d’esprit des citoyens et leur bien-être en réduisant de 45% le risque de développer une dépression. Car la pratique d’activités sportives ou physiques favorise une inclusion sociale en créant des communautés qui transcendent les différences culturelles et socio-économiques. Cela provoque la mixité et les rencontres, en incitant le mouvement. C’est ainsi que le sport peut rassembler tous les acteurs, de tout âge et de toutes classes sociales avec un équipement adapté à chaque usage. Une dynamique sportive favorise par conséquent une appropriation partagée de la ville, par ses habitants.

(Chiffres 2018 de l’Institut de Recherche du Bien-être, de la Médecine et du Sport Santé)

Favoriser les déplacements

À l’heure où l’activité physique peut même être prescrite sur ordonnance, il y a une vraie nécessité à promouvoir son développement. Il s’agit alors de favoriser le déplacement, la mobilité douce en encourageant et en facilitant les déplacements mais aussi de promouvoir les activités physiques et sportives pour tous et toutes, à tous les âges de la vie. Or, dans l’espace public, il n’est pas nécessaire de s’inscrire au préalable dans un club, de réserver un espace ou de payer un droit d’entrée. Le sport dans l’espace public peut être pratiqué n’importe où, n’importe quand, par n’importe qui, spontanément ou non, dans les limites du respect de l’ordre public et du bon voisinage.

La ville comme terrain d’entraînement

Une activité en plein boom

Aujourd’hui la pratique sportive est plébiscitée, c’est le loisir préféré d’un français sur quatre. Dans le premier Baromètre national des pratiques sportives, rendu public en janvier 2019 : un Français sur deux (52 %) s’adonne à son activité physique favorite au moins une fois par semaine. « La majorité est quant à elle engagée dans une pratique sportive amatrice régulière et autonome », relèvent les auteurs. Cette tendance actuelle prévoit une hausse des pratiques sportives de 10% chez les habitants de l’Hexagone d’ici le coup d’envoi des JO 2024 à Paris. De plus, aujourd’hui, les Français sont friands de sports qui peuvent se pratiquer sans encadrement (natation, vélo, course…).

Des motivations nouvelles

Cet engouement s’explique par plusieurs désirs. Il y a l’aspect de rencontre et de convivialité à travers la participation à une activité collective (première envie pour 40% des Français). La tendance du « prendre soin de soi » (mieux manger, faire du sport, protéger la nature) et de la recherche du bien-être (premier désir pour 58% des Français) qui se traduit par un besoin d’équipement sportifs accessibles et en plein air au plus proche de chez l’habitant. Enfin, pour 73% des Français, l’entretien physique est la première motivation à la pratique d’une activité physique, nous sommes en pleine période où l’esthétique et le culte de soi priment. Nous sommes « loin du fait de se dépasser ou d’éprouver des sensations fortes », plébiscité auparavant (Baromètre national des pratiques sportives 2019). Un mode de vie urbain peu actif, un manque d’espaces verts font des espaces urbains des lieux de moins en moins adaptés face aux attentes de ces nouveaux modes de vie émergeants. En parallèle, on assiste à une urbanisation des sports extérieurs avec l’escalade par exemple, qui peuvent désormais se pratiquer également en ville. Le domicile devient lui aussi un terrain de jeu pour la pratique sportive : 20% des moins de 35 ans s’entraîneraient à domicile via des cours en ligne ou des applications. Un constat majeur ressort : les citadins veulent pouvoir pratiquer où et quand ils veulent.

(Chiffres : bilan des 5 baromètres Attitude prévention 2012-2016)

Des pratiques inédites

La voie publique se transforme alors en espace de pratique sportive. L’essor du parkour, dont les adeptes prennent plaisir à détourner le mobilier urbain pour parcourir la ville est le symbole le plus caractéristique de cette reconquête de la rue par le sport. Offrir aux habitants ces nouvelles formes de mobiliers, c’est surtout réanimer les lieux en offrant la possibilité de nouvelles pratiques. Le sport dépasse le cadre qui lui est donné et envahit d’autres terrains, notamment la ville. Si dans les années 1980-1990, le roller a été la première discipline à investir le cœur des villes, ce sont, aujourd’hui, de nouvelles activités sportives d’appropriation de l’espace (Parkour, skate, street workout…) qui façonnent des espaces publics où se côtoient végétalisation, aménagements urbains et équipements sportifs divers et répartis. Cette multiplication rapide et significative du nombre et des types d’activités est un phénomène relativement nouveau, qui permet pratiquement d’exercer une nouvelle activité chaque jour et de redécouvrir son environnement constamment.

La ville doit se réinventer

Un manque d’infrastructures adaptées

Face à ce constat un problème se pose, la manque d’infrastructures est problématique et les Français sont en demande d’aires de jeux et de loisirs mais également de terrains multisports. Le bureau de l’Economie du sport du ministère des Sports s’est penché sur cette problématique au travers de sa note d’analyse, parue début mai 2018. Ainsi, avance la note, « en ville, les espaces publics sont aujourd’hui des lieux de pratiques privilégiés pour les usagers. Les rues, les places, les parcs, les squares, les quais, les esplanades sont particulièrement révélateurs des recompositions des pratiques sportives » . Le nombre d’équipements, qu’ils soient détournés ou installés, en ville est compliqué à évaluer. La pratique sportive en ville étant « évolutive » , pointe la note, « il est aujourd’hui très difficile de quantifier le nombre de pratiquants » . Face à des pratiques parfois méconnues (parkour, street workout…) et par définition peu encadrées, « l’aménagement des espaces publics et la mixité des usages, notamment à des fins sportives, sont aujourd’hui des enjeux majeurs pour les municipalités » , estime la note.

Cette évolution des pratiques et des tendances indique aussi que les espaces sportifs se veulent adaptables et modulables dans le temps. Il est question de constamment proposer des solutions aux citadins dans les espaces de vie collective, afin que la pratique du sport soit la plus accessible possible. L’infrastructure sportive se doit d’être un composant à part entière de l’urbain et faire preuve de cohésion avec les autres services et infrastructures situés à proximité.

Le sport pour valoriser un territoire

En installant des fonctions bénéfiques pour la vie collective et pour la santé de chacun, ces aménagements offrent une attractivité supplémentaire à nos villes ainsi qu’à nos espaces publics. À l’image des « ploggeurs » qui ramassent les déchets présents sur le trajet de leur footing, les sports de rue se mettent en spectacle et contribuent activement à la dynamisation des espaces publics. On peut également penser au tourisme urbain et ses nouvelles tendances qui se développent à l’image des raids urbains : une découverte de la ville agrémentée d’épreuves sportives, culturelles, pratiques et extrêmes.

L’adaptation change de côté

Si ces pratiques libres, considérées comme gênantes, étaient mal perçues au sein des collectivités il y a un peu plus de dix ans, un tournant s’est opéré au fil des années. Les skateparks ont été conçus et intégrés en milieu urbain pour éviter que les skateurs soient éparpillés dans la cité. Ils sont finalement devenus des lieux de pratique très fréquentés mais aussi de rencontres, de spectacles et de balades. Avec l’apparition de nouveaux pratiquants autonomes (coureurs à pied, adeptes du parkour, du fitness, du crossfit…), cette adaptation de la ville a commencé à se réaliser d’une façon plus constructive. Les bienfaits sont nombreux : qualité de certains espaces oubliés révélée, reconquête des quais, diversification des publics…

De nombreuses villes (Strasbourg et ses Vitaboucles, Biarritz avec les Chemins de la forme, le long de l’océan…) se sont lancées dans la réalisation de parcours de sport-santé, en cœur de cité, avec l’objectif de favoriser une ville “bougeable”. Nantes s’est appuyée sur les remontées des sportifs pour mettre en place sa politique de pratiques libres. Lavelanet (Ariège) a restructuré son espace public, à travers trois axes : « favoriser les mobilités douces, inciter la population à pratiquer une activité physique tout en profitant du patrimoine local, mis en valeur ». Enfin, la ville de Paris a converti des friches en terrains de sport à travers son dispositif « Paris, terrain de jeux ».

Embellir les espaces publics

Si l’espace public était autrefois un lieu de déplacements, de commerce, de discussions, il a évolué en un lieu de pratiques sportives, événementielles ou encore culturelles. Ce sont aujourd’hui des lieux hybrides amenés à évoluer au fil du temps. Cette multifonctionnalité incite les citoyens à exercer une activité physique et produit de l’animation sur l’espace public.

Conclusion

Il suffit de mettre un pied dehors pour s’en rendre compte : depuis quelques années, le sport a colonisé la rue. Des joggeurs aux skateurs en passant par les adeptes de la marche nordique et du parkour, les citadins ont fait de la pratique sportive leur loisir de plein air favori. Fini le temps où il fallait forcément aller au stade ou s’enfermer dans des salles moites pour suer. Au XXIe siècle, le sport s’est échappé des enceintes qui lui ont longtemps été dédiées et qui avaient tendance à le sanctuariser, pour devenir un phénomène proprement urbain. Une dimension que les designers et les architectes ont désormais bien intégrée. Le sport doit alors être vu comme un laboratoire afin de dépasser la première vocation du mobilier urbain, à savoir pratique, utile et sécuritaire.

Bonus

Pour finir, voici un inventaire des différentes activités que l’on peut observer ou pratiquer en ville :

  • L’entrainement urbain

Né depuis peu de temps dans nos villes, les adeptes de l’entrainement urbain utilisent la ville et son mobilier pour s’entraîner et rester en forme. Bancs publics, potelets, escaliers, trottoirs, arceaux, bornes et barres à vélo, mais aussi sols souples des aires de jeux… Échauffement, gainage, traction, sauts, stretching, etc. Gratuit et à l’air libre, l’espace urbain est investi pour travailler l’endurance et le renforcement musculaire.

  • Le Skate-board

Le skateboard est un sport désormais très visible dans l’espace public ; ses aficionados s’y adonnent généralement dans des lieux de passage importants, voire dans des skatesparks aménagés par les communes. À travers des attitudes vestimentaires, des codes linguistiques différents, et également la prise de risque et la performance, la pratique du skateboard facilite également une forme de socialisation plus globale, par l’apprentissage de l’espace urbain et de ses codes.

  • Le street-roller

Les adeptes de cette discipline (officiellement interdite) plus artistique que sportive revendiquent une véritable philosophie de vie. De rampes en escaliers, de bancs en trottoirs, ces bolides à roulettes investissent les lieux les plus insolites pour « rider ».

  • Le BMX en ville

Le BMX freestyle en ville consiste à réaliser des figures sur des supports comme les rampes, les escaliers, des bancs. Cette activité comprend différentes catégories comme le flat, le street et le park. Moins populaire, ce sport acrobatique et spectaculaire se pratique aussi en skatepark.

  • L’escalade urbaine ou (ou urban climbing)

L’escalade urbaine vise à courir les rues à la recherche de « spots » comme des façades des bâtiments et autres structures urbaines. Si l’escalade urbaine suppose l’ascension (illégale) de bâtiments publics, elle suppose surtout le « solo », c’est-à-dire l’escalade sans assurance. Dans cette discipline, Alain Robert est célèbre pour avoir escaladé plusieurs gratte-ciels. Il commença à faire parler de lui en 1994 et a grimpé plusieurs hauts buildings du monde.

  • Le parkour

Cette discipline extrêmement physique consiste à transformer des éléments du milieu urbain en obstacles à franchir. Le but est de se déplacer d’un point à un autre de la manière la plus naturelle, fluide et efficace possible. Différentes techniques sont utilisées : course, sauts, escalade, déplacement en équilibre, mouvement quadrupède, etc.

  • Le golf urbain ou street golf

Cette pratique dérivée du golf consiste à envoyer la balle vers un trou ou toute autre cible spécifiée comme telle. Elle s’approprie les rues, les chantiers, les voies ferrées… Aujourd’hui très populaire, le golf urbain s’exerce dans monde entier, avec des formats de jeu différents.

  • Les échasses urbaines

Sport extrême qui se pratique grâce à des instruments à ressort mécanique ou pneumatique. L’utilisateur rebondit et peut réaliser des figures et autres acrobaties allant jusqu’à des sauts de trois mètres de long, deux mètres de haut et qui lui permettent de courir à plus de 40 km/h…

  • Le base jump

Cette variante plus qu’extrême du parachutisme qui consiste à sauter depuis des objets fixes comme des immeubles, des ponts, etc. dont la hauteur varie entre 50 mètres à plus de 1500 mètres. Combinant de nombreuses autres disciplines (chute libre, parapente, alpinisme, précision d’atterrissage, voltige, etc.), il existe dans le monde entre 8 000 et 10 000 pratiquants réguliers, et environ 200 en France.

  • Le bâton sauteur

Inventé dans les années 1910 par George Hansburg, le bâton sauteur devient un véritable phénomène de mode dans l’entre-deux-guerres. Depuis sa création, les records aussi nombreux qu’inutiles ont rempli les pages du Guinness Book comme celui de la plus grande distance parcourue — en 1997, Ashrita Furman a sauté pendant 12 h 21 sur 37,18 km — ou du nombre de sauts — Gary Stewart a rebondi 177 737 fois en 20 h 20. Aujourd’hui, la discipline connait une nouvelle jeunesse grâce à une utilisation plus extrême, proche du skate.

Sources :